J’ai découvert Marion Zimmer Bradley assez jeune, je devais être au collège. Il y avait chez moi une collection assez conséquente de livres de science-fiction et de fantasy dans laquelle je piochais au gré de mes envies. J’avais été attirée par la couverture qui représentait une magnifique jeune femme à la peau verte.
Je dévorai le roman sans imaginer qu’il existait une suite (ou même un début …). En réalité, je venais de lire l’un des composants de la fameuse série La Romance de Ténébreuse. Nous possédions le tout premier livre de cette série- dans l’ordre chronologique, et pas d’édition hein ^^- La planète aux vents de folie, sur lequel je me suis évidemment jetée, avide d’en connaître plus sur cette étrange planète Ténébreuse.
A ma grande surprise, je découvris une histoire qui relevait plus de la science-fiction que de la fantasy, contrairement au premier livre que j’avais pu lire, et c’est là ce qui me fascina tout d’abord.
De mon point de vue, l’auteure a trouvé un accord assez intéressant entre la science-fiction et la fantasy, et vous allez vite comprendre de quelle façon.
La saga commence avec l’histoire d’un astronef terrien qui s’écrase par erreur sur une planète inconnue. Contraints de coloniser cette planète au lieu de celle à laquelle ils se destinaient initialement, les colons font peu à peu la découverte de ce monde étrange et hostile sur lequel ils se sont échoués. Faiblement réchauffé par un soleil rougeoyant, la planète est régulièrement balayée par de terribles tempêtes de neiges. Les immenses chaînes de montagnes et le climat très rigoureux ne facilitent pas l’installation des terriens… L’endroit est déjà habité par plusieurs espèces intelligentes, dont une, les chieris, avec laquelle les humains tisseront des liens particulièrement étroits, bien que ne se mêlant jamais à eux. En effet, les chieris sont une race à la longévité étonnante, mais en voie d’extinction. Cette planète a également la particularité d’exacerber les capacités psychiques. Jusque là, pas de doute, c’est de la science-fiction.
Sans possibilité de repartir, une nouvelle civilisation voit le jour, cependant les humains oublient peu à peu leurs origines terriennes. Ainsi, dans le second livre de la série qui nous emmène plusieurs centaines d’années plus tard, il n’est fait nullement allusion au passé terrien des protagonistes. De la science-fiction, on passe à la fantasy : Ténébreuse est un monde médiéval basé sur une société féodale. Ils habitent des forteresses ou des palais, chassent au faucon, montent à cheval, se font la guerre … On se croirait revenu au Moyen-Âge ! Les familles nobles – descendantes des principaux protagonistes de La planète au vent de folie – sont dotés de pouvoirs psychiques appelés laran. Les cheveux roux, lointain héritage des origines irlandaises et écossaises de leurs ancêtres, sont d’ailleurs souvent la marque d’un laran très puissant.
Le mélange science fiction – fantasy devient encore plus fort lorsqu’un jour, qui débarque sur Ténébreuse ? Tout simplement les terriens ! S’en suit un choc culturel assez violent entre deux civilisations totalement différentes malgré leurs racines communes, sans compter que les Ténébrans ne sont pas prêts à accepter leur ascendance terrienne.La saga conserve néanmoins une dimension de science-fiction : les Ténébrans développent des technologies très avancées grâce au laran et leurs dons ne sont pas sans évoquer … les X-men 😀 capables de maîtriser la foudre, lire dans les pensées, modifier le génome humain, voir le futur … chaque famille possède un laran bien spécifique qu’il est tentant de renforcer par des programmes de sélection génétique (on est bien loin de l’univers fantasy de Games of Thrones là !).
Bref, vous l’aurez compris, je voue une véritable passion à l’univers de Ténébreuse, et je ne suis pas la seule : en effet, Marion Zimmer Bradley a donné son accord à de nombreuses auteur(e) afin qu’ils/elles écrivent sur cet univers passionnant.
Au-delà de l’histoire dans laquelle on se plonge très facilement, Marion Zimmer Bradley aborde des thèmes qui font échos à l’actualité, et c’est d’autant plus étonnant que ces livres ont été écrits il y a … quarante ans (à une époque où l’homosexualité était une maladie et où les femmes n’avaient pas le droit d’avoir leur propre compte en banque sans l’accord de leur mari).
Dans l’univers de ténébreuse, l’homosexualité est courante, mais pas toujours bien acceptée, simple reflet de notre propre société. Dans La Belle Fauconnière , le frère adoptif du roi ne cache ainsi pas son homosexualité à ses proches.Certaines personnes sont “emmasca”, ni hommes ni femmes. Ils ne sont pas hermaphrodites, ils sont simplement différents, comme un troisième genre qui dénote là d’une ouverture d’esprit : le monde n’est pas uniquement féminin ou masculin.
Les femmes, en raison de l’univers féodal, n’ont pas vraiment de libertés (comme c’est le cas dans beaucoup de romans de fantasy basés sur des univers médiévaux), cependant M. Z. Bradley utilise cet univers pour montrer les carcans desquels les femmes peinent à sortir (et c’est encore valable aujourd’hui). Une partie de la population assez archaïques considère les femmes comme des reproductrices qui ne doivent pas se mêler des affaires des hommes. Confinées aux tâches ménagères, elles doivent se battre pour obtenir ce qu’elles veulent. En effet les héroïnes de M. Z. Bradley sont indépendantes. Elles veulent décider de leur sort, elles veulent maîtriser leur corps (choisir ou non d’avoir des enfants) et ne pas être mariées de force. Heureusement de temps à autres, les héroïnes rencontrent des personnages intelligents qui ne considèrent pas les femmes comme des poulinières !
L’avortement et la contraception ont également une place prépondérante puisque c’est grâce à ces pratiques que la femme peut avoir la maîtrise de ce qui se passe dans son corps.
Dans Le Loup des Kilghards M. Z. Bradley aborde le thème de la guerre. Grâce au laran les Ténébrans peuvent fabriquer des armes redoutables. Dans ce tome, tout une réflexion est fondée sur la légitimité d’utiliser de telles armes et la nécessité de créer des lois pour se faire la guerre. Cela nous rappelle étrangement les débats et les traités autour des armes nucléaires. Quand on se rappelle que les romans ont été écrits en pleine guerre froide, on comprend mieux ce genre de préoccupations.
L’une des particularité de cette série est que la plupart des livres peuvent se lire indépendamment les uns des autres : en effet M. Z. Bradley n’a pas écrit les livres dans l’ordre chronologique. N’essayez pas de faire un arbre généalogique, c’est assez compliqué … Seuls ceux écrits après la redécouverte ont des liens assez étroits entre eux et il peut être préférable de les lire dans l’ordre, d’autant plus que certains ont été écrits sous forme de trilogie comme c’est le cas avec la trilogie des amazones libres ( La chaîne brisée, La maison des amazones, La cité des mirages) ou la trilogie de Margarida Alton (La chanson de l’exil, La matrice fantôme, Le soleil du traître).
Je n’en suis qu’au tome 2 (donc au 4ème livre de la série) mais je suis certaine qu’au fil de ma relecture (oui car je les ai déjà tous empruntés à la médiathèque, mais quel bonheur d’enfin les posséder !) je redécouvrirais d’autres thèmes intéressants qui ne m’avaient pas sauté aux yeux lorsque j’avais 13 ans. J’ai tout de même une préférence pour les romans se déroulant avant la redécouverte par les terriens mais je sens que je vais racheter toute la série.
J’espère que cela vous aura donné envie de découvrir l’univers très particulier de Ténébreuse et l’oeuvre de Marion Zimmer Bradley !