Petite, je n’ai jamais éprouvé une passion dévorante pour les dauphins. Je n’avais pas de poster de Flipper entouré de cœurs sur fond de coucher de soleil accroché au mur. Nager avec les dauphins ne m’a jamais fait fantasmer, ça me ferait limite plutôt peur…
J’ai assisté deux ou trois fois – un peu par hasard – à des spectacles mettant en scène des dauphins qui effectuent des acrobaties pour un public qui n’est pas avare de “ooooh” et de “aaah”. Une fois le spectacle terminé, on quitte les gradins, émerveillés, sans plus penser aux artistes aquatiques qui nous ont diverti pendant quelques dizaines de minutes.
Il y a quelques semaines, l’un de mes contacts Facebook a partagé un article qui expliquait pourquoi il ne fallait pas participer à des activités de nage avec les dauphins. Même si l’idée me semble absolument horrible, je peux comprendre que certaines personnes aient envie d’approcher de près l’animal auquel elles vouent un culte depuis la maternelle. Pour appuyer ses arguments, l’article citait le reportage The Cove réalisé par Louie Psihoyos, un ancien photographe de National Geographic . Comme je suis curieuse, je me suis dépêchée d’aller regarder le reportage qui était disponible sur Youtube ici (on peut l’acheter sur Itunes ou Amazon il me semble).
La grande qualité de ce reportage est qu’il ne se contente pas de mettre bout à bout des interviews. On y suit l’enquête de Ric O’Barry, l’ancien dresseur de Flipper, sur la capture et le massacre des dauphins dans la baie de Taiji au Japon. Certains s’étonneront de voir un ancien dresseur changer de bord et aller poser des caméras pour filmer en secret ce qui se déroule dans cette petite baie nippone. On comprend mieux les raisons de son combat lorsqu’il raconte de quelle façon l’un des dauphins qui jouait le rôle de Flipper s’est laissé mourir dans ses bras, probablement de désespoir. En effet, chez les dauphins, la respiration ne relève pas d’un automatisme mais d’une action consciente. Le dauphin a simplement arrêté de respirer.
Tout au long du documentaire, il explique pourquoi enfermer dans un bassin cet être intelligent et sociable est inhumain. Il nous rappelle que le sens principal du dauphin est l’ouïe. Grâce à un système de sonar, il “voit” son environnement bien mieux qu’avec ses yeux. Or, dans un bassin de béton, son sonar se répercute sans cesse contre les parois, ce qui peut créer chez certains animaux comme les dauphins ou les orques un état d’anxiété voire de dépression. Outre les arguments qui visent à démontrer que la captivité des dauphins leur est nuisible, le documentaire fait la lumière sur un point très important auquel on pense rarement lorsque l’on assiste à un spectacle : la provenance des-dits dauphins. La plupart des dauphins présents dans les aquariums ou les delphinariums proviennent de la baie de Taiji au Japon. Cependant, non seulement on les y capture, mais ils y sont également régulièrement massacrés. Rabattus par des bateaux de pêcheurs, les dauphins sont enfermés dans la baie. Certains sont sélectionnés pour devenir des bêtes de foire, tandis que les autres sont tués à coup de harpon. En filmant secrètement ce qu’il s’y passe, le reportage a dévoilé au monde des images très dures. On voit clairement des dauphins blessés tenter de s’enfuir et se vider de leur sang – bref, ambiance quoi.
Evidemment, les Japonais ne font pas cela pour le plaisir. Les dauphins sont tués pour être mangés et leur pêche constitue l’une des activités économiques principales du village de Taiji. Manger du dauphin, c’est un peu comme manger de la vache (chacun ses goûts après tout). Cependant, cet argument ne justifie par la violence avec laquelle les dauphins sont abattus et les souffrances qu’ils endurent avant de mourir. On peut certes débattre du fait qu’il s’agisse d’une différence culturelle, en revanche les études scientifiques démontrent formellement que la consommation de viande de dauphin est mauvaise pour la santé en raison de son taux trop important de mercure, dû à la pollution humaine. GG les humains ! Et que se passe-t-il lorsque l’on mange du mercure ? Les gens donnent naissance à des bébés gravement mal-formés. Un autre argument souvent invoqué est que les dauphins mangent trop de poisson, et qu’il n’en restera pas assez pour nos sushis. C’est vraiment trop bête.
Cela fait maintenant 4 ans que le reportage a reçu un oscar et les dauphins subissent toujours le même sort. On parle souvent de leur grande intelligence et de leurs capacités impressionnantes : ils peuvent se reconnaître dans un miroir, il peuvent apprendre certains mots basiques du langage des signes, certains ont même sauvé des humains à diverses occasions. Alors après avoir pris conscience des conditions de vie de ces cétacés en captivité, et découvert le sort de ceux qui n’avaient pas été choisis, je me suis dit que je ne retournerai jamais voir un spectacle de dauphins.
Mais voilà. Les dauphins ne sont pas les seuls concernés. Ils ne sont pas les seuls cétacés à vivre enfermés dans nos aquariums et nos parcs aquatiques : bélugas, fausses orques, orques (et sûrement d’autres espèces que je connais pas très bien) vivent dans les mêmes conditions. Ainsi quand j’ai entendu parler de Blackfish, ce documentaire sorti en 2013 a tout de suite attiré mon attention.
Blackfish s’appuie sur l’histoire d’une orque de SeaWorld pour démonter que ces animaux ne peuvent pas être gardés en captivité. En effet, Tilikum est à l’origine de trois morts depuis sa capture en 1983 à l’âge de deux ans. La captivité rendrait les orques agressives envers elles-mêmes et envers les humains. Pour comprendre les méfaits de la captivité sur les orques, il faut se pencher sur leur mode de vie dans la nature.
Les orques, comme les dauphins, sont des animaux très sociables. Elles vivent toute leur vie dans une tribu, ou un “pod”, aux côtés de leur mère qu’elles ne quitteront jamais . Les pods sont des sociétés matriarcales dominées par les femelles et qui possèdent leur propre “culture”. En effet, chaque pod a des techniques de chasses différentes qui sont enseignées aux plus jeunes ainsi que des régimes alimentaires différents. Chaque pod a également son propre langage. Il a été prouvé que des orques de différents pods ne vocalisent pas de la même façon. Au sein d’un même pod, on peut également observer des différences entre les diverses matrilignes.
Les orques capturées au profit des parcs et aquariums sont séparées de leur famille et de leur mère. Elles se retrouvent seules ou bien en compagnie d’orques qui appartiennent à différents pods et avec lesquelles elles ne peuvent pas communiquer. Depuis que la capture des orques a été réglementée, les parcs tels que Seaworld se concentre sur la reproduction en captivité. Généralement les jeunes orques sont séparées de leur mère au bout de quelques années pour être vendues et transférées dans d’autres parc. Séparées de leur mère, les jeunes orques femelles n’apprendront jamais les comportements maternels adéquats lorsqu’elles donneront naissance. Certaines orques ont ainsi démontré de l’hostilité ou même de la violence envers leurs petits.
De surcroît, les bassins dans lesquels vivent les orques et autres cétacés sont bien loin de leur donner les mêmes possibilités que l’océan. Les orques peuvent nager jusqu’à 160 kilomètres sur une même journée. A l’intérieur des petits bassins, ce n’est bien sûr pas possible. Les animaux manquent alors cruellement d’espace, d’exercice et de stimulation, ce qui cause en partie l’affaissement de leur aileron dorsal, tandis que l’eau traitée avec des produits chimiques agresse leur yeux et leur peau. Même dans les bassins qui respectent la réglementation, il faudrait que les orques en fasse plusieurs milliers de fois le tour par jour pour parcourir les mêmes distances que dans l’océan.
Il devient alors clair que les orques développent des comportements violents car elles vivent dans des environnements inadaptés à leur grande taille, leur intelligence et leur sociabilité. Le sujet principal du documentaire Blackfish, l’orque Tilikum, est encore en activité malgré les trois morts qui lui sont attribuées. Cet acharnement s’explique tout simplement par le prix considérable de ces animaux évalués à plusieurs centaines de milliers de dollars et par le bénéfice qu’ils génèrent. SeaWorld estime par exemple que 70% de ses revenus sont liés à l’intérêt que portent les visiteurs aux orques.
Des lois contre la captivité des orques porteraient alors un énorme préjudice pour ces parcs marins, comme SeaWorld qui possède pas moins de 23 orques réparties dans trois parcs. SeaWorld essaie de convaincre ses visiteurs que les conditions de vie des orques en captivité sont équivalentes voire meilleures que celles qu’elles pourraient avoir en liberté. Ils prétendent que les orques vivent aussi longtemps en captivité, alors que les animaux atteignent rarement l’âge de dix ans contre une moyenne d’âge de quarante ans dans la nature. Les parcs marins affirment également aussi que les grandes distances parcourues par les orques en liberté peuvent être mauvaises pour leur santé. Il suffit de jeter un œil à presque la totalité des orques captives dont l’aileron dorsal est affaissé pour comprendre que ces arguments ne visent qu’à maintenir une industrie juteuse et non pas à protéger les cétacés.
La lutte contre la captivité des orques et autres cétacés pose évidemment un autre problème : que faire des orques une fois libérées ? Certaines d’entre elles appartiennent à des pods identifiés par les scientifiques. On connaît donc leur famille et certaines expériences ont révélé que les orques captives réagissaient au son des vocalisations de leur pod. Il n’est pas improbable que ces orques pourraient être réintroduites dans l’océan progressivement, comme cela avait été tenté pour Keiko, l'”acteur” qui endossa le rôle de l’orque Willy dans le film éponyme. Malheureusement, certaines orques sont certainement incapables de se réadapter à la vie sauvage. Parce que leur famille nous est inconnue et parce qu’elles ont été trop longtemps nourries de poissons morts, elles ne pourraient pas chasser et se retrouveraient isolées dans l’océan. Certaines orques solitaires cherchent ainsi le contact avec les hommes pour palier l’absence de leurs congénères et risquent alors d’être blessées par les hélices des bateaux. Il faudrait pouvoir les transférer dans des enclos marins où elles seraient nourries et soignées. Cette solution serait extrêmement coûteuse pour les actuels détenteurs d’orques. Prendre la décision d’interdire la mise en captivité des orques pourraient peut-être mener à la même interdiction pour les dauphins dont les conditions de vie ne sont guère meilleures.
Plus généralement, ces documentaires interrogent notre relation aux animaux qui bien souvent sont considérés comme des produits par les industries du tourisme et du divertissement. Parce que l’être humain se considère comme la seule espèce intelligente, il estime qu’il possède un droit sur les animaux. La plupart des visiteurs de zoos et parcs marins sont animés de bonnes intentions et veulent approcher de près les animaux parce qu’ils les aiment, sans avoir conscience que la captivité est néfaste à bon nombre d’animaux sauvages. Certaines espèces de cétacés ou de singes font preuve d’une extraordinaire intelligence qui nous fait reconsidérer le statut que nous leur accordons dans notre société tournée vers la consommation. N’est-il pas plutôt de notre responsabilité de veiller au respect des autres espèces qui peuplent notre planète ainsi qu’ à la préservation de leurs habitats naturels ? Face à ces considérations émergent des concepts comme celui du sanctuaire qui a pour vocation de protéger les espèces en danger mais aussi de recueillir les animaux maltraités, blessés ou abandonnés.
Libérez les animaux !
Sources :
Louis Psihoyos, The Cove, 2009 [Documentaire]
Gabriela Cowperthwaite, Blackfish, 2013 [Documentaire]
BBC Natural World, Saved By Dolphins, 2008 [Documentaire]
Macionis Niki, O’Connor Noëlle, “How can the film-induced tourism phenomenon be sustainably managed?”, Worldwide Hospitality and Tourism Themes, 2011
Delfour F., Marten K., “Mirror image processing in three marine mammal species: killer whales (Orcinus orca), false killer whales (Pseudorca crassidens) and California sea lions (Zalophus californianus)”, Elsevier Science, 2001
Deecke V, Ford J., Spong P., ” Dialect change in resident killer whales: implications for vocal learning and cultural transmission”, Animal Behaviour, 2000